LES POUVOIRS SECRETS DES ARBRES
Article rédigé par Anne-Claire Genthialon, LE PARISIEN, 23 février 2017 / Source : ici
Ils communiquent, s'entraident, savent se défendre aussi. Un forestier allemand, dont le best-seller paraît en France, prête aux arbres des caractéristiques humaines. Un thème qui a également inspiré de nombreux écrivains et artistes.
Attention, livre événement. Depuis sa sortie en Allemagne l'an dernier, La Vie secrète des arbres s'est écoulé à plus de 650 000 exemplaires outre-Rhin, où il demeure toujours en bonne place dans le classement des best-sellers. L'ouvrage, qui sort enfin en France le 1er mars, a déjà été traduit dans plus de 32 langues. La version anglaise caracole en tête des ventes de la section « nature » du site Amazon. Le quotidien canadien National Post n'a pas hésité à le sacrer « meilleur livre de l'année 2016 ». Même Hillary Clinton l'aurait eu entre les mains. Et dire que son auteur, Peter Wohlleben, pensait en vendre « à peine 300 exemplaires » !
Dans cet ouvrage, le forestier de 52 ans, que nous avons rencontré à l'ombre de grands hêtres, nous raconte ce qui se trame sous les feuillages. Pédagogue et érudit, il décrit la forêt comme une véritable société où les arbres échangent. Un monde mystérieux, où des individus nommés chênes, bouleaux ou pins communiquent grâce à un réseau comparable à Internet, aident leurs enfants à grandir et même... tombent amoureux! C'est sans doute là que réside la clé du succès. Pour Peter Wohlleben, les arbres sont des êtres vivants, qu'il se plaît d'ailleurs à comparer à des éléphants, en juste un peu plus lents. S'il s'appuie sur des études scientifiques, le gardien des bois leur attribue des caractéristiques humaines.
« Les termes biologiques ou trop techniques, cela ennuie tout le monde et supprime l'émotion. Quand j'écris que les arbres allaitent leurs enfants, tout le monde comprend.» Infirmiers pour leurs voisins malades, lanceurs d'alerte en cas d'agression extérieure, capables de produire leur propre insecticide ou d'appeler des alliés à la rescousse... Ces végétaux, qu'on imagine facilement isolés et immobiles, se révèlent plein de ressources. A l'occasion de la sortie de l'édition française, nous vous dévoilons les six caractéristiques les plus étonnantes des arbres.
La Vie secrète des arbres, de Peter Wohlleben, Les Arènes, 272 p., 20,90 €.
1 - Ils ont un langage codé
Certes, ils ne parlent pas comme nous. Mais cela n'empêche pas les arbres de communiquer. En émettant des substances odorantes, ils échangent chimiquement, et électriquement aussi. Il suffit de soulever un bout de terre en forêt pour découvrir des filaments blancs. Il s'agit d'hyphes de champignons, qui participent, avec les racines, à la transmission d'informations sur la sécheresse du sol, une attaque d'insectes ou tout autre péril. Ces fils, qui fonctionnent sur le même principe qu'Internet, forment un réseau souterrain si dense que des scientifiques l'ont baptisé le « Wood Wide Web ». Difficile de déterminer le type et le volume d'informations communiquées tant la recherche est embryonnaire sur le sujet. Si les chênes et les acacias s'avertissent des dangers, peut-être échangent-ils aussi de bonnes nouvelles. En tout cas, lors d'une prochaine balade en forêt, prêtez l'oreille. Si vous percevez de légers craquements, pas sûr que ce soit uniquement dû au vent.
2 - Ils se défendent contre l'ennemi
On les imagine volontiers incapables de faire face à des invasions. Victimes passives, condamnées à se faire grignoter par des animaux, des insectes ou des parasites appâtés par les millions de calories qu'ils renferment sous forme de sucre, cellulose, lignine et toutes sortes de glucides. Grossière erreur. Les arbres en ont sous l'écorce ! Ils sont capables de se débarrasser seuls de leurs agresseurs. Certains développent leur propre insecticide. Ainsi, les acacias peuvent augmenter la teneur en substances toxiques de leurs feuilles pour se délivrer des girafes qui les mangent. En cas d'attaque, les chênes, eux, envoient des sucs amers dans leur écorce et leurs feuilles. De quoi exterminer ces pillards ou, au moins, gâcher leur festin en rendant leur verdure immangeable.
Pour d'autres espèces, la stratégie sera différente. Certains émettent des substances pour attirer les prédateurs friands de leurs assaillants. Ainsi les ormes et les pins, pour se débarrasser des chenilles, appellent à leur rescousse de petites guêpes qui vont pondre des oeufs dans le corps de leur envahisseur.
3 - Ils font équipe pour survivre
Lorsque les arbres meurent, ils pourrissent et se transforment, en quelques décennies, en humus. Pourtant, certaines souches demeurent dures comme de la pierre, même après plusieurs centaines d'années, et contiennent encore de la chlorophylle. Ces souches bénéficient de l'aide de leurs voisins, qui leur transmettent des substances nutritives pour les maintenir en vie. Car les arbres développent l'esprit de communauté, « conscients » que l'entraide leur assure sécurité et longévité. Ils modèrent ainsi les températures de leur écosystème, augmentent si besoin l'humidité atmosphérique et emmagasinent de grandes quantités d'eau. Ensemble, ils font également bloc face aux autres espèces pour avoir accès à la lumière et aux ressources du sol. Ils ne seraient pas dénués d'émotions, voire de sentiments. Dans un cas sur 50, on peut voir des « amoureux », qui poussent côte à côte et veillent à ce que leurs branches ne dérangent pas la croissance de l'autre. Comble du romantisme: si l'un des deux meurt, il faut couper le survivant, qui mourra de toute façon l'année suivante.
4 - Ils sont très prévoyants
Lors de votre prochaine balade en forêt, si vous écrasez accidentellement un arbrisseau en pensant que ça n'est pas grave car il vient de sortir de terre,sachez que certains ont déjà une dizaine d'années. Ils ne dépassent pas la vingtaine de centimètres alors qu'ils devraient être bien plus grands. L'explication ?
En filtrant la lumière du soleil à travers leurs branches, leurs pères, vénérables centenaires, les forcent à pousser très lentement pour avoir un tronc bien rectiligne. Ainsi, à l'âge adulte, ils seront mieux armés pour résister aux bourrasques et aux intempéries en général. Mais, comme dans une salle de classe, il y a des dissipés.
Avides de lumière, certains, pour capter de précieux rayons, se contorsionnent et ne poussent pas droit. Quelques années plus tard, leurs troncs courbés les déséquilibreront. Et ces impatients risquent également la déchirure de bois, une blessure qui peut entraîner leur mort.
5 - Ils ont chacun leur caractère
Les hêtres, au fort esprit de compétition, n'hésitent pas à pousser les autres espèces pour se faire une place au soleil. Les bouleaux, eux, sont des solitaires, qui aiment se tenir à l'écart. Au-delà de ces caractéristiques communes avec l'homme, les arbres auraient leurs propres traits de caractère: raisonnables, téméraires...Farfelus ?
Comment, alors, expliquer les différences de comportements entre congénères de la même espèce bénéficiant de conditions naturelles strictement identiques ?
A l'automne, il n'est pas rare de voir des chênes changer de couleur tandis que leurs voisins restent uniformément verts encore quelques semaines. Le moment choisi pour se débarrasser de son feuillage serait donc une question de caractère. Certains décideraient de s'en séparer au plus vite pour ne pas être surpris par l'hiver. Ils évitent ainsi de ne plus pouvoir s'effeuiller une fois la saison froide installée et de devoir nourrir des feuilles inutilement. Tandis que d'autres profitent au maximum des bienfaits du soleil, quitte à se faire surprendre.
6 - Ils ont de la mémoire
Pour s'assurer une bonne croissance, les arbrisseaux retiennent des informations, notamment sur leur consommation d'eau puisée dans le sol. Ils doivent ainsi apprendre à se modérer pour ne pas dépasser leurs besoins, au risque de se faire exploser l'écorce. Une fois la notion de sobriété acquise, ils ne la perdent pas, malgré la tentation que représente une terre gorgée d'eau. Pour stocker ces savoirs, hêtres, chênes, pins et bouleaux disposeraient d'une forme de cerveau dans leurs racines. Ces dernières présentent un système de transmission de signaux, mais aussi des structures et des molécules comparables à celles des animaux.
Et une conscience?
« On ne sait pas », reconnaît Peter Wohlleben, sans pour autant démentir.